AU-DELÀ DU LIVRE : ENVIRONNEMENT TEXTUELS ET NARRATIFS
"Les environnements liés électroniquement ont profondément influencé notre manière de penser la lecture et l'écriture en soulignant le positionnement de mots dans un cadre contextuel et référentiel. En tant que texte hyperlié et non linéaire, l'hypertexte illustre en même temps qu'il met à l'épreuve certains aspects de la théorie critique postmoderne, particulièrement ceux qui concernent la textualité, la narration ainsi que les rôles et fonctions du lecteur et de l'écrivain.
Avec ses réseaux de segments de textes liés et de chemins alternatifs, l'hypertexte favorise la pluralité des discours et brouille la frontière entre lecteur et écrivain. L'auteur crée une carte du texte avec ses chemins et options multiples ; le lecteur assemble l'histoire en choisissant son itinéraire (ou même en réécrivant le texte) et crée ainsi sa propre version. Comme la lecture est non séquentielle, l'auteur ne peut prédire que dans une certaine mesure le chemin qui sera suivi par les lecteurs. Auteurs et lecteurs d'hypertextes et de projets hypermédia deviennent des collaborateurs de l'assemblage et du ré-assemblage des éléments textuels, visuels et sonores.
Selon les tenants de la théorie postmoderne et post-structuraliste, la textualité est par nature ouverte et le processus de lecture n'est jamais séquentiel. Le lecteur n'avance pas mot par mot, ligne par ligne, page par page jusqu'à la fin d'un texte. Il interprète le texte à l'intérieur de cadres de référence et fait de multiples connexions et associations au fur et à mesure de sa lecture. Depuis les années 1960, les chercheurs qui se sont penchés sur la réception des textes ont mis en valeur le rôle du lecteur dans la construction d'un texte (un texte existe-t-il sans lecteur?). La stabilité des textes traditionnels est à la fois physique et psychologique. La présence physique, stable, d'un texte imprimé tend à s'opposer à l'existence d'un texte impalpable, psychologique, que le lecteur tente de construire. L'hypertexte et l'hypermédia abandonnent la stabilité physique du texte imprimé par l'ajout de conventions d'ordre technologique : du fait du mécanisme des liens, ce n'est pas principalement l'interprétation du lecteur qui change, mais le texte lui-même. Les applications hypermédias s'efforcent d'imiter l'aptitude du cerveau à faire des associations d'idées de références, et elles utilisent ces références pour accéder à l'information. L'hypertexte fait fusionner le lecteur et l'écrivain d'une manière visible, en surface, qui accentue les qualités mêmes - le jeu des signes, l'inter-textualité, l'absence de conclusion - que la théorie déconstructiviste posait comme les limites ultimes de la littérature et du langage.
Vus à travers le prisme de la culture numérique, tout livre peut être considéré comme un espace d'information doté d'une "architecture" propre. Toute forme d'écriture est aussi une pratique spatiale qui consiste à occuper l'espace d'une page de papier ou d'écran avec des éléments structurels (phrases, paragraphes, chapitres).
À ces projets qui s'intéressent à la "matérialité" de la typographie et des espaces d'écritures s'ajoute le vaste ensemble d'écrits hypertextuels, majoritairement des récits non linéaires à base de texte.
La plupart des projets narratifs d'art numérique ne donnent pas le rôle principal au texte, mais racontent des histoires dans un environnement hypermédia où le texte est relié à des images et des sons. Le terme "narratif" est évidemment très vaste ; dans le présent contexte, nous l'utilisons pour faire référence à des oeuvres qui représentent explicitement une histoire qui se déroule (par opposition à l'histoire que raconte une image ou aux récits culturels qui se développent à un méta-niveau).
La structure même de ces environnements où visuels et textes sont hyperliés - et dans lesquels le lecteur cherches des "indices" pour assembler un récit - est un des points communs évidents entre les oeuvres hypermedias et les jeux, lesquels représentent une autre forme d'environnement narratif et ont connu une véritable explosion depuis l'avènement du numérique."
"L'art numérique", de Christiane Paul (Thames & Hudson, Paris, 2004)
lundi 1 mars 2010
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