vendredi 1 avril 2011

SOUTENANCE MÉMOIRE

Émilie Blondeau
De plis en replis, variations inspirées de Borges et de Bertin
Préparation à la soutenance du mémoire
31 mars 2011

Tout d’abord, je souhaite vous préciser que dans un premier temps je vais vous présenter ma recherche et la façon dont je l’ai articulé puis dans un deuxième temps je vais vous exposer mes recherches actuelles et leur état prospectif.

CONTEXTE :
Depuis l’année dernière, je consacre mon travail à la réflexion sur la visualisation des données et leur restitution par des moyens graphiques, ainsi qu’au domaine de l’édition dans une démarche qui s’articule entre graphisme, volume et espace.
À travers mes différentes expérimentations, je me suis peu à peu intéressée au design d’information, à la signalétique et à l’art numérique.

L’artiste John Maeda, un des pionniers dans ce domaine, a été une référence importante pour moi.
Il a mis au point une méthode d’apprentissage de la programmation nommée design by numbers qui est le titre d’un de ses livres ; deux de ses anciens étudiants, Benjamin Fry et Casey Reas, ont poursuivi dans cette direction pour réaliser Processing, un environnement de design interactif très prometteur, basé sur la plate-forme Java.


SUJET ET GRANDES LIGNES DU SUJET
Ces différents centres d’intérêts m’ont permis de mettre en place un projet de recherche pour mon diplôme pour lequel j’ai choisi de travailler sur la visualisation de données spatiales et sensibles d’un territoire, et plus précisément sur la cartographie de la ville d’Orléans.
La ville est un espace source de nombreuses informations et de flux en lien avec des données sonores, temporelles et spatiales et dans laquelle chaque espace vécu est unique. J’appréhende la ville comme un livre ouvert, comme un espace géométrique, territoire de notre quotidien et en cela support de notre fiction : c’est là que l’on vit, que l’on dort, que l’on rêve...
C’est ici que l’association entre Borges et Bertin s’est imposée. Rappelons que :

Jacques Bertin est un cartographe français, père de la « sémiologie graphique » (aussi appelée la graphique).

Jorge Luis Borges est un écrivain et poète argentin.
Son travail est érudit, et à l’occasion délibérément trompeur (Tlön, Uqbar, Orbis Tertius). Il traite souvent de la nature de l’infini (La Bibliothèque de Babel, Le Livre de sable...), de miroirs, de labyrinthes et de dérive (Le Jardin aux sentiers qui bifurquent), de la réalité, de l’identité ou encore de l’ubiquité des choses (La Loterie de Babylone).


En effet j’ai très vite été amené à travailler sur la cartographie. La carte en tant qu’objet m’offre tout à la fois un gabarit fonctionnel et subjectif pour travailler sur le récit et la ville. Je conçois la sémiologie graphique comme un alphabet, la carte comme une grille, où le territoire urbain devient le « livre » de la ville. Le récit sur la carte constitue la carte qui en est le produit comme représentation.

Mon questionnement alors a été de me demander comment réinvestir la carte pour donner une nouvelle lecture de la ville.
Utiliser l’objet carte et l’écriture cartographique comme outil pour travailler sur la ville en tant qu’espace, trame, support de fiction, qui peuvent se mélanger, se superposer, changer d’échelle me permet d’envisager et de proposer une ville nouvelle, presque iréelle.

Pour construire cette recherche, j’ai observé les habitudes des habitants, le fonctionnement de la ville, son caractère construit tout autant que ses failles.

En effet nos trajets, les expériences que nous menons à travers nos différentes déambulations sont autant d’histoires qui s’inscrivent sur un territoire commun et partagé. Mon intention a été de rendre compte de ces expériences multiples au sein d’une même cartographie, qui se donnerait comme un livre combinatoire, un objet de mémoire dans lequel s’inscrit l’histoire vivante de la ville.

Il faut bien différencier l’espace conçu de l’espace vécu ; c’est à cela que j’ai consacré la première étape de ma recherche, soutenue par une succession d’expérimentations en atelier et sur le terrain. En effet, par définition la cartographie donne à voir l’agencement spatial du territoire. En ayant recours au design interactif et au concept de design ouvert, j’ai compris que je pouvais aller vers de nouvelles investigations, notamment dans une traduction plus personnelle et sensible de la ville dans laquelle on vit. L’utilisateur potentiel de la carte telle que je commence à l’envisager devient donc un partenaire et cela crée une véritable opportunité d’échange et d’enrichissement, retrouvant par la même le principe que décrit Umberto Eco dans son ouvrage “l’œuvre ouverte” publié pour la première fois en 1962. L’oeuvre ouverte est une invitation à faire l’œuvre avec l’auteur. Les notions de fini et d’infini y sont fortes :

L’œuvre d’art est une forme, c’est-à-dire un mouvement arrivé à sa conclusion : en quelque sorte un infini contenu dans le fini. Sa totalité résulte de sa conclusion et doit donc être considérée non comme la fermeture d’une réalité statique et immobile, mais comme l’ouverture d’un infini qui s’est rassemblé dans une forme.”
Cette phrase est emprunté à Luigi Pareyson, philosophe italien contemporain.

L’oeuvre ouverte me conduit à repenser l’interactivité, à prolonger mes connaisances dans ce domaine en les appliquant à la cartographie.

Les cartes interactives existent déjà sous forme d’écran tactile ou sur le web. Ce qui m’importe dorénavant et qui constitue la deuxième étape de mon projet, c’est sa dimension en tant qu‘objet.
Le rapport entre 2D et 3D est un enjeu difficile à résoudre, que je conçois comme la création d’un “patron” et sa réalisation ou sa mise en volume. Ma problématique sera donc de donner forme à un graphique, de visualiser un ensemble de données par une approche en volume et de comprendre comment cela en modifie la lecture.
Cette recherche rejoint le travail de Pierre Vanni, graphiste toulousain. Formé aux nouvelles technologies, il cherche à travers ces expérimentations plastiques et ces projets professionnels à réinvestir autrement les technologies de l’image de synthèse, notamment en conjuguant une phase de conception numérique avec des moyens de mise en oeuvre fragiles, voire dérisoires, comme le papier ou le carton. Ce travail autour de l’image de synthèse s’inscrit dans l’évolution du design graphique et son orientation tactile.
Derrière ce graphisme en volume, l’enjeu est d’élaborer une nouvelle proximité entre l’homme et ses supports de communication, une nouvelle interactivité destinée à opérer un graphisme plus sensible.

CONCLUSION
Pour mon mémoire, j’ai choisi une forme évoquant tout à la fois l’objet livre et l’objet cartographique : le livre étant le support de la fiction, du texte et le dépliant cartographique faisant référence à l’information, aux repères iconographiques et bibliographiques.

Depuis l’écriture de ce mémoire, ma réflexion se dirige sur les emboitements d’espaces et sur la deconstrution de la vision de la ville, retrouvant les capacités du pli, et le vertige de l’infini qu’il sous entend. La lecture du chapitre «irreprésentable» dans le livre «De la duplicité de Gaëtane Lamarche-Vadel m’a soutenu dans cette déconstruction et décomposition du visible. Tout ceci rejoint l’idée d’une ville virtuelle. Si la ville est le lieu où l’on vit notre quotidien, je la considère également comme un point de départ aux rêveries et à l’imagination et j’en fais un espace où tout peut devenir possible, même les choses les plus irrationnelles. Elle ouvre sur une nouvelle appréhension du réel, nourrie par la mouvance du design interactif et par l’étude des flux dans lesquels les frontières spatiales s’effacent pour créer un espace infini. Ainsi progressivement j’évolue vers un travail de déformation de l’espace qui génère de nouvelles formes graphiques et plastiques en intégrant des jeux de perspectives, pour créer un nouveau regard sur la ville, permettant alors de la redécouvrir sous différents angles comme une vue kaléidoscopique, un jeu de facettes et de fragmentations. Louis Marin nous dit :

Une « Utopique » est une construction imaginaire ou réelle d’espaces dont la structure n’est pas pleinement cohérente selon les codes de lectures eux-mêmes que ce cette construction propose. elle met en jeu l’espace.
Utopiques, jeux d’espaces, Louis Marin

Deux références ont encore été importantes dans l’approfondissement de mon travail : Felice Varini et Georges Rousse.
Ils travaillent tout deux sur le principe d’anamorphose, l’expérience de la troisième dimension et de l’éclatement d’une figure. Ils transforment ainsi l’acte de voir en expérience vécue dans des espaces fermés ou sur des paysages urbains.
Les formes sur un seul plan se détachent et se superposent à l’architecture à laquelle elles semblent appartenir. Ce qui amplifie le difficulté, voire l’impossiblilité qu’il y a à embrasser visuellement, en un seul regard, l’ensemble du paysage.

Tout le travail élaboré cette année m’as permis de comprendre que pour moi le graphisme est indissociable de l’espace, dans lequel il se déploie tout autant que dans un livre. Ainsi, avec ce projet, c’est toute une conception du graphisme qui se forge fondé sur une méthodologie déterminante de ma pratique dans ce constant aller-retour ente deux espaces.

BIBLIOGRAPHIE
Le chant des pistes, Bruce Chatwin, Le livre de Poche, 1987
De la duplicité, la figure du secret, Gaëtane Lamarche-Vadel, La différence, 1994
Fictions, Jorge Luis Borges, Folio, 1983
La promenade sous les arbres, Philippe Jaccottet, La bibliothèque des arts, 2009
Les villes invisibles, Italo Calvino, Points, 1996

RÉFÉRENCES
Monsu Desiderio
Cannelle Tanc
Nigel Peake
Brian Nunnery

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